Open data : les redevances entérinées par l’Assemblée nationale

Le projet de loi Valter transposant la directive public sector information (PSI) était examiné ce mardi 6 octobre en première lecture, dans le cadre d’une procédure accélérée.
A l’IGN, l’Insee ou à la Réunion des musées nationaux, certains ont dû pousser un ouf de soulagement après l’examen en première lecture à l’Assemblée nationale du texte de Clotilde Valter transposant la directive public sector information (PSI), dans le cadre d’une procédure accélérée.
En revanche, les partisans les plus exigeants de l’open data qui appelait une “transposition ambitieuse” en sont sortis refroidis. Si des aménagements ont été apportés vers plus d’ouverture, le texte voté à l’unanimité par la poignée de députés présents ne modifie pas substantiellement le principal point d’achoppement : le maintien des exceptions à la gratuité et à la libre réutilisation des données publiques. Un paradoxe, comme l’a de nouveau souligné, entre autres, par Paul Molac (DVG):
Plutôt que de garantir l’abandon progressif des redevances, comme le permettait la directive, le Gouvernement choisit d’entériner celles-ci en y consacrant la moitié de son projet de loi. En compensation, le texte affirme bien un principe de gratuité, mais en lui associant de nombreuses exceptions.
Désireuse d’éviter une “sur-transposition”, la secrétaire d’Etat en charge de la Réforme de l’Etat et de la Simplification a justifié, encore, que le Conseil constitutionnel avait, dans une décision du 13 août 2015, rappelé que les lois transposant des textes communautaires devaient avoir un lien direct avec ces derniers. Un argument recevable, mais seulement en partie, puisque les marges de manœuvre auraient permis une transposition plus ambitieuse.
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Les redevances ont la peau dure
De nombreux amendements se sont attelés à circonscrire ces redevances. Le rapporteur Luc Belot (PS) a déposé un amendement instituant un système de freemium : l’obligation de publier gratuitement, mais uniquement tous les six mois, les données pour les administrations “dont les missions principales incluent la diffusion d’informations publiques”. Pour accéder à des données plus fraîchement mises à jour, une redevance redevient possible. Dans le viseur, les gros opérateurs type IGN et Insee. Dans sa rédaction initiale, le député ambitionnait de supprimer la possibilité de lever des redevances pour ces administrations.
Une partie de son argumentaire s’appuie sur la notion de service public, que les redevances empêchent de mener à bien. Son exposé sommaire renvoie au CIMAP (comité interministériel pour la modernisation de l’action publique ) de 2013 qui développait déjà cet argument : “aucune redevance ne saurait être exigée sur des données résultant des missions de service public des administrations générales. Il est demandé aux administrations d’accroître leurs efforts en matière de publication de données leur permettant de mener à bien leurs missions, de motiver leurs décisions, de mesurer leurs activités ou leur bilan.” Et d’évoquer dans la foulée la nécessité de faire évoluer les business modèles, conformément aux recommandations du rapport Trojette, mais appelant aussi l’Etat à prendre le relais : “Le législateur devra en revanche faire preuve de la plus grande cohérence, en compensant pour ces administrations la perte des redevances par une augmentation de leur dotation budgétaire.”
Plus expéditifs, les députés EELV voulaient supprimer les redevances de l’IGN, comme de l’Insee.
Sauf que, même décevante pour certains, l’adoption de l’amendement Belot s’avère un compromis favorable. Car Clotilde Valter a porté le fer contre cette solution de repli, arguant pèle mêle des contraintes financières, du manque d’informations sur l’impact, et de la nécessité de préserver la qualités des données. Soit autant d’interrogations dont la réponse se trouve dans le fameux rapport Trojette.
Luc Belot a regretté cette issue, expliquant que “L’open data n’avancera jamais si c’est Bercy qui arbitre”.
Autre amendement destiné à brider les volontés d’élargir l’utilisation des redevances, celui de Lionel Tardy (LR), qui voulait interdire que la redevance serve à autre chose que couvrir les coûts de mise à disposition, et ne devienne ainsi une rente. Mais il a été repoussé.
Transparence des informations sur les redevances : peut mieux faire
D’autres amendements poursuivaient comme objectif d’améliorer la transparence sur les redevances. En l’état actuel, certaines informations relatives aux redevances sont rendues publiques (article 3 et 5 du projet de transposition) : “Le montant des redevances mentionnées aux I et II est fixé selon des critères objectifs, transparents, vérifiables et non discriminatoire” et “Les conditions de réutilisation des informations publiques ainsi que, le cas échéant, les bases de calcul retenues pour la fixation du montant des redevances sont rendues publiques, dans un format ouvert, par les administrations mentionnées à l’article 1er qui les ont produites ou reçues.”
Cette disposition pourrait être poussées plus loin, estimaient les députés écologistes(1), qui ont défendu un amendement, adopté, obligeant la publication du montant total des redevances afin de “permettre à tous l’appréhension des montants très hétérogènes perçus par les administrations – presque 10 millions d’euros pour l’INSEE et 5000 euros pour la CADA en 2012 – et l’évolution de ces montants dans le temps.”
Un amendement de Lionel Tardy a en revanche été rejeté : il obligeait à centraliser les information sur les redevances, “au moins pour les administrations de l’Etat”. Clotilde Valter assure que “c’est la vocation de www.data.gouv.fr. de donner ces informations”. Dont acte.
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Accord d’exclusivité : du mieux
Sur les accords d’exclusivité – accordés par des producteurs de données à des réutilisateurs – la porte reste entrouverte. Initialement, ils pouvaient être portés jusqu’à dix ans, voire au-delà pour les données culturelles, dans le cadre de partenariats public-privé portant sur la numérisation des données.
Lionel Tardy et Luc Belot ont déposé chacun des amendements demandant que l’exclusivité ne dépasse pas 15 ans pour les données culturelles. Les écologistes, eux, avaient fixé la barre à dix ans.
C’est finalement l’amendement de Luc Belot qui a finalement été adopté. Il indique aussi que ces accords doivent être réexaminés la 11ème et la 13ème année.
En outre, un amendement de Bertrand Pancher (UDI) demandant la publication des avenants aux contrats d’exclusivité a été voté. De même celui des écologistes qui interdit de cumuler redevance et droit d’exclusivité.
Formats ouverts : le pdf a encore de beaux jours
Sur les formats de données, le texte reste insuffisant puisque les formats ouverts demeurent une option : « Ces informations sont communiquées sous forme électronique et, si possible, dans un format ouvert. »
La disposition votée reste mitigée. Lionel Tardy (LR) proposait de préciser “ouvert et librement réutilisable”. Ses collègues EELV allaient plus loin dans le détail : « et réutilisable librement, c’est‑à‑dire lisible par une machine et pouvant être exploité par un système de traitement automatisé. »
Le gouvernement a pris en compte ces demandes, retenant la formulation “aisément réutilisable”, sans plus de précision. Le format reste de l’ordre de l’option. Les pdf ont donc encore de beaux jours devant eux.
Rôle de la CADA
D’autres dispositions visaient à renforcer le contrôle de la CADA sur les redevances. Lors du passage en commission, elle avait déjà vu son rôle un peu accru puisqu’elle était saisie de toute nouvelle création de redevance concernant des informations publiques de l’Etat.
Lionel Tardy voulait pousser plus loin cette obligation, en y soumettant toutes les personnes de droit public chargées d’une mission de service public, par exemple les autorités administratives indépendantes (AAI) mais pas les collectivités locales, au nom du principe de libre administration. Son amendement a été rejeté, au motif qu’il est “inutile car les autorités administratives indépendantes, par exemple, sont considérées comme des institutions de l’État”, a justifié Clotilde Valter.
Rejeté aussi celui prévoyant de saisir la CADA sur le montant d’une redevance. En revanche celui stipulant que le montant des redevances seront réexaminé tous les cinq ans a passé le cap.
Les licences pourront toujours pulluler
Afin de ne pas complexifier un objet juridique déjà complexe, Lionel Tardy proposait de limiter le nombre de licences. “Il faut laisser la possibilité de recourir à des licences négociées ou adaptées à certaines situations spécifiques”, lui a rétorqué Clotilde Valter.
Dernier rejet, sans surprise, un amendement EELV inspiré par l’association Regards citoyens, supprimant la possibilité, pour un agent public, de bénéficier du droit d’auteur, introduite par la loi DAVDSI en 2006 dans le code de la propriété intellectuelle. La disposition éliminerait du même coup le droit sui generis attaché à certaines bases de données, qui fait peser une incertitude juridique.
Il a été repoussé, au motif qu’il dépassait le cadre de la directive. Lionel Tardy a précisé qu’il avait déposé deux amendements à ce sujet dans le cadre de l’examen du projet de loi sur les droits et obligations des fonctionnaires (ici et là).
En l’état, le projet de loi Valter est le mal-aimé des partisans de l’opendata, qui reporte toute leur attention sur le projet de loi Lemaire. A plusieurs reprises, les intervenants au débat se sont d’ailleurs référés à ce texte à venir, à commencer par Clotilde Valter :
“Il y a une cohérence entre les deux textes. Le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui vise à transposer une directive européenne tandis que le texte de ma collègue développera les grands principes dont nous allons poser les bases.”
Cela suffira-t-il à donner une cohérence dans l’écheveau législatif actuel de l’open data…