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Ecole numérique : les questions à se poser avant d’investirFermer la salle informatique ?

Alors que l’Education nationale veut développer de nouveaux usages grâce au numérique, un chantier se profile pour les communes : faire évoluer les équipements existants ou en acquérir de nouveaux. Mais comment concilier cet objectif avec la réalité du terrain ? Les enseignants, dont le métier est appelé à évoluer, ne seront pas prescripteurs d’usages qu’ils ne maîtrisent pas encore. Tour d’horizon des arbitrages à opérer avant de se lancer.

1/ Fermer la salle informatique ?

La salle informatique est le symbole de l’informatisation des écoles françaises du début des années 2000. Son équipement, d’abord hétéroclite, a progressivement été repris en main par les services informatiques des mairies pour assurer la mise en réseau et la connexion à internet. Ces salles sont encore utiles dans les écoles où des enseignants supplémentaires peuvent encadrer de petits groupes d’élèves. Quand elles sont sous-utilisées, la question de leur fermeture se pose.

Celle-ci coïncide, dans les communes en croissance démographique, avec la nécessité de récupérer des locaux. C’est le cas à Villeneuve-Saint-Georges (33 000 hab., Val-de-Marne) : « Nous avons choisi d’acquérir des classes mobiles composées d’une valise de douze tablettes, d’une borne wifi et d’un ordinateur portable, qui seront disponibles à chaque étage », indique David Donizeau, chargé du développement du numérique éducatif. Pour assurer la transition vers des équipements mobiles encouragée par l’Education nationale, le directeur informatique de Bezons, Christophe Lhardy, renouvelle l’équipement des salles avec des ordinateurs portables attachés à l’aide de cadenas.

2/ Tablette pour l’élève ou tableau pour l’enseignant?

« Autant les enseignants étaient enthousiastes lorsque nous avons installé des tableaux numériques interactifs [TNI], autant ils étaient réticents à l’arrivée des tablettes », confie Eric Kerrouche, président de la communauté de communes Maremne Adour côte sud. Le TNI, le vidéoprojecteur interactif (VPI) et l’écran interactif font entrer l’enseignant dans un modèle de travail collaboratif où il partage les ressources qu’il crée pour ses cours. Ils ont un impact sur les stratégies pédagogiques, mais ne modifient pas la position de l’enseignant.

A l’inverse, avec un outil individuel pour chaque élève, le professionnel perd la main. Il doit appréhender une nouvelle manière d’enseigner. « Le plan numérique des écoles d’une commune ne se résume pas à équiper les enseignants selon leurs besoins. Il doit définir quel projet global la commune souhaite lancer pour assurer sa mission éducative », souligne Marie-France Bodiguian, consultante en assistance à maîtrise d’ouvrage du cabinet AMO-TICE.

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Préconisations pour l’équipement mobile

Dans le cadre de la préfiguration du plan numérique lancé à la rentrée 2015 dans 300 collèges et 300 écoles des réseaux d’éducation prioritaire, l’Education nationale définit un cahier des charges pour l’équipement numérique mobile des établissements scolaires : Cadre de référence pour l’accès aux ressources pédagogiques via un équipement mobile

3/ L’ENT, outil scolaire ou de continuité éducative ?

Si les espaces numériques de travail, ces environnements sécurisés accessibles à des publics identifiés, ont été largement déployés dans le second degré, ils sont peu présents dans le premier. « L’ENT est encore perçu comme un outil de gestion scolaire alors qu’il a un réel intérêt pour initier des pédagogies différenciées et pourrait devenir un outil de la continuité éducative », note Marie-France Bodiguian. Le choix d’un ENT se fait avec les délégations académiques au numérique. Selon l’éditeur retenu, un abonnement compris entre 2 et 7 euros par an et par élève sera facturé à la commune.

« Une mairie n’est pas sûre du retour sur investissement si les enseignants l’utilisent uniquement pour la fonction cahier de texte, reconnaît Erik Le Moal, directeur d’une école de 14 classes à Lézignan-Corbières [10 900 hab., Aude]. Nous avons choisi un ENT libre sur lequel cinq classes déposent des documents pour que les élèves consolident à la maison les apprentissages effectués en classe. Mais la mairie reste prudente dans sa manière d’investir un espace où elle pourrait donner des informations extrascolaires. » Sans le soutien de l’inspection académique, une commune aura du mal à utiliser l’ENT en vue d’établir un lien avec les familles pour les activités périscolaires ou de mettre à disposition des logiciels éducatifs qu’elle financerait pour le soutien scolaire.

4/ Connecter chaque classe ?

Si la connexion de l’école est un passage obligé, celle de chaque classe reste à débattre. « Les terminaux mobiles favorisent l’utilisation de l’ENT, mais nous constatons un frein au développement des usages dans les communes qui ont un accès ADSL insuffisant, signale Guy Tilmont, responsable informatique de la communauté de communes Macs. Les communes ne sont pas prêtes à payer 2 000 euros par mois pour une connexion ADSL de 100 MBits, quand les abonnements grand public coûtent 30 euros. » Et certaines communes qui ont pourtant déjà câblé toutes les classes conditionnent l’accès à internet à la présentation d’un projet par l’enseignant.

Par ailleurs, le choix de tablettes ou d’ordinateurs portables pour les élèves soulève inévitablement la question de l’exposition aux ondes. « C’est un faux problème, car on peut avoir un usage raisonné des bornes wifi, en les allumant exclusivement le temps d’une séquence pédagogique. Il existe aussi la solution technique du “mobile device management” grâce à laquelle on télécharge les applications sur un serveur qui les diffuse ensuite sur les tablettes [puis celles-ci sont utilisées en mode déconnecté, ndlr] », conseille Marie-France Bodiguian.

5/ Un équipement neutre et pérenne, c’est possible ?

« En 2012, nous avons opté, avec l’appui des élus, pour une évolution des équipements de l’école vers des solutions libres pour ne plus être pris en otage par l’obsolescence programmée des matériels, toujours plus gourmands en mémoire », explique Philippe Declerc, responsable du service informatique de la communauté de communes du haut-Verdon val d’Allos (6 communes, 2 100 hab., Alpes-de-Haute-Provence). Equiper une école sans céder aux modes est une gageure. Cette démarche, d’abord éthique, génère pourtant des économies à l’heure où les budgets sont contraints. Elle va donc souvent de pair avec le recyclage des micro-ordinateurs. « Les 56 micro-ordinateurs utilisés pendant quatre ans par les agents territoriaux ont une durée de vie prolongée de quatre ans dans les écoles lorsque l’on installe Ubuntu, un système d’exploitation libre », complète-t-il.

Tous les logiciels utiles à la gestion des équipements de l’école numérique ont une alternative « open source ». Pour les TNI ou les VPI, il s’agit d’Open-Sankoré, qui permettra de conserver les ressources pédagogiques en cas de renouvellement du matériel. Les ENT libres (Eole, projet collectif de l’Education nationale, ou Iconito de l’Adullact) peuvent être inscrits dans le cahier des charges d’un marché de service (1), contrairement aux ENT propriétaires. « La collectivité ne paiera qu’un abonnement de fonctionnement de l’ordre de 2 euros par mois et par élève », indique Alain Garcia, directeur de l’atelier Canopé (2)des Alpes-de-Haute-Provence. Enfin, une offre de logiciels éducatifs est développée par des communautés d’enseignants « libristes ».

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« Convaincre les enseignants d’utiliser des formats ouverts est difficile »

Christophe Lhardy, directeur informatique à Bezons (28 200 hab., Val-d’Oise)

Bezons a participé à un programme d’équipement des classes mené par le département du Val-d’Oise en 2004. Dès l’arrivée du matériel neuf, j’ai lancé une réflexion sur le logiciel libre. En effet, pourquoi l’école serait-elle l’antichambre des marques ? J’ai mis en place la solution libre AmonEcole, adoptée par l’Education nationale, pour sécuriser et gérer les serveurs de réseaux internet de nos six salles informatiques, ce qui a permis un gain de 500 euros par serveur sur le coût des licences. Cependant, concernant les logiciels mis à la disposition des enseignants, je dois mener un travail de conviction pour expliquer les enjeux à long terme de l’utilisation de formats de données normalisés et ouverts plutôt que d’être captif des modèles de données des logiciels vendus par les éditeurs. Je les ai incités à abandonner Word de Microsoft pour Open office, comme nous l’avons fait pour la bureautique de la mairie. Mais j’ai appris à ne plus être dogmatique : il est difficile d’imposer un environnement libre aux enseignants s’ils ont été formés à utiliser un logiciel propriétaire.

 

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Expériences locales

Istres (Bouches-du-Rhône) – 42 900 hab.

Des vidéoprojecteurs tactiles dans les classes de maternelle

« L’académie nous a proposé en 2012 d’expérimenter dans quatre classes l’utilisation d’un tableau numérique interactif, mais le maire a souhaité, dans un souci d’équité, que toutes les classes primaires soient équipées », explique Bruno Zoppis, directeur de l’éducation et de l’enfance de la ville d’Istres. Pour réussir ce pari, il fallait donc choisir un équipement dont la prise en main serait simple pour les 230 enseignants.

Un partenariat avec l’Education nationale est alors engagé dans le cadre du dispositif Dune (Développement des usages numériques à l’école, plan en œuvre entre 2010 et 2012) pour équiper dans une première phase, en 2013, les 117 classes élémentaires des écoles de la ville. Le choix se porte sur un vidéoprojecteur interactif associé à un micro-ordinateur portable. « Le VPI est un outil collectif utile dans les phases d’apprentissage, il est au service des enseignants avant d’être au service des élèves », précise Fabienne Bonnet, inspectrice de l’Education nationale de la circonscription d’Istres.

Les 117 classes élémentaires et les 63 classes maternelles ont été câblées. Istres n’est pas la première ville française à avoir généralisé ce type d’équipement dans ses écoles. « L’innovation, dans cette circonscription, est le choix d’équiper toutes les classes maternelles d’un vidéoprojecteur tactile. Les élèves qui ne maîtrisent pas encore l’écriture et le maniement des stylets utilisent le doigt pour les menus déroulants », décrit Fabienne Bonnet. Les enseignants ont été formés par le constructeur (Epson) à la maîtrise technique de l’outil et par l’inspectrice sur le plan pédagogique pour faire leurs premiers pas avec ces VPI, installés durant les vacances de printemps 2015. Un plan quinquennal est mis en place pour enrichir les pratiques dans toutes les disciplines. Et Fabienne Bonnet de commenter : « Il faut entretenir la motivation des enseignants, qui est réelle quand on reçoit le matériel mais peut être de courte durée faute d’un accompagnement de fond. »

 

CC Maremne Adour côte sud (Landes) – 23 communes – 56 400 hab.

 

Une logistique adaptée à la récupération des tablettes

Voici deux années scolaires que l’équipe informatique de la communauté de communes Maremne Adour côte sud a mis en place une logistique particulière pour gérer les 2 150 tablettes (iPad 8 pouces) confiées aux élèves du CE2 au CM2 et les 89 micro-ordinateurs de leurs instituteurs. Le processus est rodé : quelques jours après la rentrée, les parents sont invités à se présenter à l’école afin de signer une convention et une charte de bon usage, puis la tablette leur est remise.

« Si les parents indiquent qu’ils ne souhaitent pas que leur enfant rapporte la tablette à la maison, elle est conservée dans un coffret à l’école, où elle sera rechargée pour le lendemain », indique Guy Tilmont, responsable informatique au sein de la mission numérique. Entre 10 et 15 % des parents ont refusé, principalement pour des problèmes d’assurance qui ne couvrait pas les risques hors cadre scolaire. « Nous sommes responsables de l’usage des tablettes tant qu’elles sont utilisées dans le domaine scolaire et périscolaire », précise Guy Tilmont.

Au cours de l’année, ce dispositif mobilise cinq agents pour toutes les écoles de la communauté de communes, mais cinq autres viennent en renfort au début des vacances d’été afin de récupérer les équipements des élèves et des enseignants, selon un planning qui s’échelonne jusqu’au 15 juillet.

« Nous demandons aux parents et aux enseignants de faire des sauvegardes car les tablettes et les ordinateurs sont renouvelés à 100 %. L’an dernier, nous avions procédé nous-mêmes à la réinitialisation du matériel, mais cette année nous avons confié ce travail à un atelier de réinsertion », poursuit le responsable informatique.

Le taux de casse constaté est de 1 à 2 %. « Nous avons acheté des tablettes de bonne qualité, à 300 euros pièce, dotées d’une coque de protection à 30 euros. » Les iPad non restitués sont verrouillés grâce à un serveur qui sécurise leur accès et les localise. Ils deviennent alors inutilisables. Au total, l’interco a investi 1,7 million d’euros : 900 000 euros pour les tableaux numériques interactifs, 800 000 pour les tablettes, les logiciels et les serveurs.

Par Sophie Maréchal de La Gazette des communes